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LA COMMISSION EUROPÉENNE INSTAURE UNE PRÉSOMPTION DE SALARIAT POUR LES TRAVAILLEURS DU NUMÉRIQUE

s la Californie, l’Union européenne se penche sur les plateformes du numérique et l’économie des petits boulot (« gig economy »). Dans un projet de directive, la Commission européenne établit une présomption de salariat pour les individus travaillant par l’intermédiaire de plateformes numériques exerçant un certain niveau de contrôle sur ce travail. Cette directive devrait contraindre Uber, Deliveroo, Bolt et consorts à revoir leur copie en la matière.

Face aux nombreuses procédures judiciaires et aux interrogations des Etats membres, la Commission européenne s’est saisi de la question du statut des travailleurs exerçants sur les plateformes numériques. Un projet de directive est présenté jeudi 9 décembre 2021 qui établit une présomption de salariat. Uber, Deliveroo, Bolt et toutes les autres entreprises dont le modèle économique repose sur des indépendants semblent visés par cette réglementation.

Avec cette directive, la Commission explique vouloir à la fois améliorer les conditions de travail sur les plateformes numériques et soutenir l’innovation, les opportunités et la flexibilité permises par ces services. Plusieurs défis concernent le statut des personnes exerçant via ces plateformes, dont le manque de transparence et de prévisibilité des dispositions contractuelles ainsi que les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, de même que l’accès inadéquat à la protection sociale. Dans sa directive, la Commission promet à la fois plus de transparence sur les algorithmes et une clarification du statut de ces travailleurs avec une présomption de salariat. Présentation.

UNE PRÉSOMPTION DE SALARIAT

Lorsque la plateforme exercera un certain niveau de contrôle sur les personnes effectuant un travail par son intermédiaire, elle sera présumée être un employeur. La Commission ajoute que cela doit s’appuyer sur les faits (influence de l’algorithme, rémunération, horaires de travail, etc.) et non pas sur la façon dont la plateforme définie la relation avec le travailleur dans son contrat. Dans la directive, une liste de critères permet de déterminer si la plateforme exerce un contrôle ou non sur les travailleurs. Si au moins deux critères sont remplis, la plateforme est considérée comme un employeur.

Les critères sont : déterminer le niveau de rémunération ou fixer des plafonds ; superviser l’exécution du travail par des moyens électroniques ; restreindre la liberté de choisir ses horaires de travail ou ses périodes d’absence, accepter ou de refuser des tâches ou de faire appel à des sous-traitants ou des remplaçants ; fixer des règles contraignantes spécifiques en ce qui concerne l’apparence, la conduite envers le destinataire du service ou l’exécution du travail ; restreindre la possibilité de se constituer une clientèle ou d’effectuer des travaux pour un tiers.

UNE PRÉSOMPTION RÉFRAGABLE

Cette présomption de salariat est réfragable, ce qui signifie qu’elle peut être contestée. Mais désormais, c’est la plateforme qui aura la charge de la preuve : à elle de prouver que cette relation ne relève pas d’un contrat de travail. Aujourd’hui, en France, la charge de la preuve repose sur les indépendants qui doivent prouver que le lien qui les unie à une plateforme relève d’un contrat de travail. Une inversion majeure, le poids administratif des démarches étant évidemment très décourageant pour des indépendants.

De ce statut de salarié découle une protection sociale non négligeable : salaire minimum lorsqu’il existe, négociation collective, temps de travail et assurance maladie, congés payés, protection contre les accidents du travail, chômage, arrêt maladie, retraite, etc.

Ce texte étant une directive, s’il est adopté, les Etats membres devront le retranscrire dans leur droit national. Les directives laissent une marge d’interprétation aux législateurs nationaux, mais la Commission demande ici que cette présomption de salariat s’applique dans toutes les procédures administratives et judiciaires. Elle demande également à ce que les Etats membres élaborent de grandes orientations pour aider les plateformes et les travailleurs à évaluer la situation dans laquelle elles se trouvent.

PLUS DE TRANSPARENCE SUR LES ALGORITHMES

La directive vise également à conférer des droits aux personnes dont le travail dépend d’algorithmes de gestion. Ces algorithmes sont définis comme des systèmes automatisés de surveillance et de prise de décisions basées sur les technologies de l’information (attribution des tâches, évaluation du travail, octroi d’incitations, sanctions, etc.). La directive souhaite que les travailleurs puissent comprendre la façon dont les tâches sont attribuées et comment ils sont évalués (ou bannis) de la plateforme.

Une obligation d’information sur ces algorithmes, sur la façon dont les décisions sont prises et dont cela affecte les conditions de travail est donc fixée (comment les travailleurs sont suivis et évalués, comment l’évaluation de la clientèle est prise en compte, etc.). La Commission ajoute que les plateformes ne pourront plus collecter ou traiter des données personnelles qui ne sont pas directement liées au travail effectué ni collecter des données lorsque la personne n’est pas connectée à l’application ou au site.

Les plateformes devront surveiller et évaluer l’impact sur les conditions de travail des décisions prises par ces algorithmes, ajoute la Commission. Enfin, les travailleurs peuvent demander des explications sur les décisions qui affectent leurs conditions de travail. Toute décision ayant un impact significatif sur les conditions de travail devra être revue par un humain et les plateformes doivent répondre dans la semaine aux travailleurs contestant une décision.

QUI EST CONCERNÉ ?

Peu d’Etats membres ont réglementés sur ces sujets jusqu’ici. Lorsque c’est le cas, souvent les législations sont spécifiques à des secteurs (le VTC et la livraison) comme en Espagne. Toutefois, les litiges autour de ces sujets sont à la hausse. Aujourd’hui, la Commission recense plus de 100 décisions judiciaires et 15 décisions administratives dans l’Union européenne traitant du statut de ces travailleurs. Dans la plupart des cas, le juge requalifie ces indépendants en salariés. Avec cette nouvelle réglementation, la Commission entend faire baisser le nombre de ces litiges. Cela aura un effet bénéfique pour les plateformes qui verront leurs frais consacrés à ces affaires diminuer, glisse-t-elle.

Cette directive s’applique à l’ensemble des plateformes numériques définies comme des entreprises basées sur Internet qui se positionnent comme des intermédiaires entre des travailleurs et des clients, et qui organisent le travail des premiers. Le travail peut être réalisé sur des lieux donnés (livraison, VTC, etc.) ou en ligne. Ces plateformes ont un modèle commercial qui repose sur des algorithmes pour faire correspondre l’offre et la demande. Au total, la Commission recense plus de 500 plateformes actives sur l’espace européen, la plupart d’entre-elles proposant des services réalisés sur des lieux données. Les revenus de l’économie de plateforme dans l’UE sont estimés à 20 milliards d’euros.

5,5 MILLIONS DE PERSONNES CONCERNÉES

Plus de 28 millions de personnes dans l’UE travaillent via des plateformes numériques. D’ici 2025, leur nombre devrait atteindre 43 millions. Environ 55% de ces personnes gagnent moins que le salaire minimum en vigueur dans les pays où ils travaillent. Et 5,5 millions des individus exerçant sur ces plateformes pourraient être actuellement mal classifiés (être des indépendants plutôt que des salariés). Les 22,5 millions de personnes restantes sont considérées comme correctement classées, soit en tant que travailleurs, soit en tant qu’indépendants. « La plupart de ces personnes sont véritablement autonomes dans leur travail et peuvent utiliser le travail sur plateforme pour développer leurs activités entrepreneuriales », glisse la Commission.

Cette directive s’appliquera uniquement aux plateformes exerçant un certain contrôle sur les personnes qui y travaillent. Les acteurs de l’économie à la demande, notamment les entreprises de VTC et de livraison de repas, semblent tout particulièrement visés puisqu’ils fixent les salaires, surveillent généralement l’exécution du travail et restreignent souvent la liberté de choisir ses horaires. Au choix : ils pourront changer la façon dont ils se comportent avec les travailleurs pour s’assurer qu’ils soient vraiment indépendants (en les laissant fixer leurs propres tarifs, établir leur propre clientèle, etc.) ou appliquer la présomption. Mais avant d’en arriver là, le texte doit être adopté par le Parlement européen puis retranscris dans le droit national de chaque Etat membre.

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